Canistrelli corse

Trois amis, un but commun : découvrir de nouveaux paysages, quitter la ville, revenir aux plaisirs simples. Et faire du vélo. Quentin, Jeremy et Ugo se sont embarqués pour une expédition de cinq jours à la découverte de la Corse.

Photographie : @Jeremy Mouraud / Récit : @Ugo Lebeau

Samedi 4 novembre 2023 - jour 0

Les sacoches sont prêtes, solidement fixées sur les vélos. Dernière nuit avant le départ.

Le lendemain, au départ de Paris, le thermomètre affiche 10 degrés dans une atmosphère grise. La France a subi des tempêtes successives ces derniers jours.

L'excitation est palpable à l’idée de débuter l’aventure.

Notre objectif pour cette escapade : déverrouiller une nouvelle zone de la carte en traversant la Corse du nord au sud. Un périple de 5 jours en vélo de route de 500 km, avec un dénivelé positif de 7 000 mètres. Trois amis, un but commun : trouver une routine, savourer l'instant, revenir aux plaisirs simples, et faire du vélo.

Nous embarquons dans un train en direction de Marseille après le traditionnel paquetage des vélos. Là-bas, nous retrouvons quelques amis pour un dernier verre, l’ambiance est déjà à la fête. La petite réunion s'élargit rapidement, nous sommes nombreux, le voyage commence bien.

Nous laissons nos sacoches derrière nous pour nous diriger vers le port autonome. Les vélos sont soigneusement déposés en soute et les amarres larguées ! PNC aux portes, armement des toboggans. Direction Bastia ! L'ambiance à bord évoque le Titanic, en moins romanesque. Prendre le ferry est un petit dépaysement en soi. Comme il y a de la mer, on reste prudents en ingurgitant des Mercalm (même avant la Pietra, plus rien ne va !). Mais le dîner en sept temps façon cantine saura
nous mettre dans l’ambiance.

JOUR 1

Nous sommes réveillés aux aurores par les chants corses qui résonnent dans la cabine. L'annonce du capitaine indique une température extérieure de 14 degrés. Le restaurant est ouvert, le menu du jour : le tour du Cap Corse.

Les kilomètres défilent rapidement, portés par un vent favorable (c’est facile le vélo). Nous avons peu roulé dehors depuis la rentrée mais nous retrouvons rapidement nos habitudes en ajustant les distances, les prises d’aspirations.

Après 60 km nous prenons la tangente pour passer de l’autre côté du cap, l'odeur ambiante de figuiers et d’eucalyptus nous met en appétit. On atteint le petit village de Pino, pile à l’heure pour la pause dej. Déjà, le rythme est trouvé, nos téléphones servent uniquement à capturer des images, rien de plus. La descente du cap par l'ouest est une expérience à part entière, comme le toboggan, mais en plus typique. Les courbes sont fluides, pensées pour l'exercice. Les odeurs du maquis, les tours génoises et les villages à flanc de falaise rythment les kilomètres. Le vent en alternance nous permet de jouer avec le silence. Arrivés à Saint Florent, la ville se couche en même temps que le soleil. Nous vivons la Corse hors saison, découvrant son visage le plus discret.

Direction l'épicerie du coin, un peu dépités. La caissière (ayant surement senti le désespoir dans nos yeux) nous conseille la pizzeria de la station-service. Nous abandonnons nos courses à la caisse pour tenter notre chance. À la pizzeria Toi et Moi, les salutations fusent, l'intensité de la haute saison est derrière nous. Nous osons dîner dehors, savourant une Pietra, de la mortadelle, de la buffala, et un baba en clôture. Retour à l'hôtel, bercés par le bruit des vagues, en attendant demain.
JOUR 2

Le programme est plus léger et donc le réveil plus tardif.

Petit-déjeuner à 9h sur le port. L’hôtelier dresse ses tables, saluant chaque voiture qui passe. Plusieurs hommes se promènent, en treillis, de manière surprenante ou pas.

Nous sommes salués à la Corse, après avoir un peu traîné suite au debrief de la veille : «Eh, vous allez rester encore longtemps ?»

Départ à vélo au pied des montagnes. Belle mise en action. Nous nous permettons des attaques dans la montée qui nous emmène au désert des agriates. Après avoir basculé de l’autre côté, nous plongeons vers la mer. Le grand bleu. Le grand vent.

Pause à l’Île Rousse. Comme partout, c’est désert hors saison, quel bonheur ! Nous déjeunons sur la plage, avec une envie folle de se baigner, mais le temps est changeant. Nous en profitons pour tester grandeur nature l’ensemble des accessoires Mercier. Un peu laxistes sur l’itinéraire, la deuxième moitié consiste à lutter contre le vent sur la seule nationale de l’île.

Nous approchons de la destination. Petit crochet par le camping mythique de la ville pour apercevoir la baie de Calvi. Nous sommes seuls, mais nous imaginons la vie qu’il peut y avoir ici l’été. Farniente, rosé et discussions animées. Arrivée à Calvi. Whisky on the rocks. Pour recharger les batteries, on se dirige vers un restaurant bien nommé : l’île de beauté. Défaite du PSG en C1. >Au lit.
JOUR 3

Aujourd’hui, c’est la plus belle journée. C’est la météo qui le dit.

Pour le départ, nous sillonnons dans la mythique citadelle de Calvi (après l’achat d’une quinzaine de barres au super U). Puis, nous progressons sur une petite route côtière sinueuse. Soudain, des détonations. Nous passons à proximité de champs de tir, c’est mercredi, le jour des enfants.

La route se dégrade, mais le paysage reste magnifique, peut-être une nouvelle
fantaisie de Komoot ? Ça vibre dans le guidon, 100% Gravel, en pneu de 28. Nous nous régalons !

Les lieux de ravitaillement sont rares. Nous traversons les coteaux pour atteindre le village de Galeria, où un restaurant nous tend les bras. Pietra, Orezza, Bruschetta corse, panini Nutella. Terroir, mais pas que. Mode digestion activé.

Nous entamons la première vraie ascension du séjour. Le Col de Palmarella. L’asphalte est doux. Les courbes parfaites. Ça incite à la compet’. Une vue de rêve sur le golfe de Girolata, après un bel effort d’une dizaine de kilomètres à 5%. Dans la descente, nous retrouvons une cycliste solitaire rencontrée au début du séjour. Panne mécanique. Nous l’aidons pendant que le soleil glisse à l’horizon.

Nous repartons heureux, l’heure de gloire de Molière. Les lumières ocres envahissent le paysage et révèlent le village de Partinello. Nous voulons capturer chaque moment, avec les yeux, sous nos pieds, avec l’appareil. Le sentiment du moment parfait. Le bon timing au bon endroit. Maintenant, le froid nous enveloppe, la lumière baisse, et l’humidité descend des montagnes. Nous arrivons dans le golf de Porto à la frontale. Il fait totalement nuit, nous sommes reconnaissants que certains aléas nous permettent de voir les choses autrement. Aujourd’hui, c’était clairement la plus belle journée, c’est moi qui vous le dis.

Sur le chemin pour se restaurer, nous tentons d’imaginer des atmosphères d’été. Là, la nuit est sombre et la ville comme anesthésiée, notre seul choix sera d’avancer vers le seul lieu éclairé ce soir-là. Nouveau chapitre : demain il pleut. Pour maximiser nos chances, nous partirons tôt et les pieds au chaud.
JOUR 4

À l’aube, à travers le rideau, nous découvrons le golf qui fait le charme de ce hameau. D’un bon dans nos cuissards, nous nous dirigeons vers la boulangerie, qui a la spécificité de faire bar mais aussi librairie, le centre névralgique du village.

En arpentant les premiers virages, nous mesurons l’étendue des dommages provoqués par les tempêtes récentes. Un restaurant s’est détaché du rocher, des bateaux jonchent le parking.

L’ascension continue. Camionnette blanche, pickup, camionnette blanche. Et vite arrive le cadeau des calanques de Piana. Ou plutôt Calanche de Piana comme on l’entend résonner ici. Indescriptible, il pourrait manquer un rayon de soleil, mais nous sommes seuls, et ça rend l’instant unique.

Gauche, droite, entre les falaises. Le ciel s’assombrit. Les contrastes sont saisissants. Du vent et une pluie fine s’installent. Après un arrêt stratégique, nous tentons de maintenir au sec nos quiches et autres fougasses récupérées plut tôt. Puis vient la récompense, à l’abri d’un porche vétuste pour se ravitailler et apprécier, malgré l’humidité. Oui, c’est aussi ça le cyclisme. Il ne faut pas traîner, la tendance météo n’est pas bonne. Un dernier col au programme : San Sebastian. Les premiers se dirigent vers une chapelle pour s’abriter. Elle est fermée. Seul le vent arrivera à s’y frayer un chemin. Mystique.

Nous nous rapprochons de la baie d’Ajaccio. Il faut faire défiler les kilomètres, c’est le déluge. L’équivalent de plusieurs mois de pluie en quelques heures. L’équipement nous sauve d’une noyade certaine, mais l’eau finit toujours par se frayer un chemin, nous sommes trempés. Ouf, nous arrivons en ville.

Dîner à 19 h, plus le temps de faire semblant. Une bouteille de rouge pour la forme et des féculents pour la raison, la recette d’une machine performante.
JOUR 5

À chaque jour ses minutes de sommeil en moins. Aujourd’hui, nous nous levons à 5h pour bénéficier de la bonne fenêtre météo. Petit déjeuner express. Nous prenons la route pour l’ultime étape. Sortie d’Ajaccio compliquée entre voitures, bateaux, avions. Ça roule fort.

Quelques petites vallées avant de rejoindre Propriano. Jusqu’ici, plutôt progressive, nous tombons sur des ascensions casse-pattes. De vrais pourcentages qui nous demandent de nous employer avec des vélos chargés dans des passages à 20%.

Après la première ascension, nous nous réfugions dans une petite épicerie. On nous offre gentiment le café, mais surtout l’échange. Nous expliquons que nous venons de Paris, et ça passe. Le propriétaire à fait 3 ans à Corbeil-Essonnes. Coup de chance. Un autre café. Il dit habiter le plus bel endroit sur terre. Et c’est vrai.

Il nous offre des Canistrelli.

Nous apprenons que nous passons tout juste, car la route sera fermée le lendemain pour un rallye local. La pluie s’intensifie depuis 30 minutes et le niveau d’eau augmente dans les chaussures. Faites vos jeux, rien ne va plus. La tête dans le guidon, la pluie n’est qu’une information. Nous finissons trempés, sauf le haut, merci la veste averse.

Nous voyons la fin arriver et les batteries s’épuiser. Nous finissons en chantant, avec les amis, avant l’ultime orage qui arrive sur la baie de Propriano.

Heureux d’avoir coché la trace. Heureux d’avoir fait ça ensemble. Nous pensons déjà remettre ça. On repart quand ?